T’es sûr·e ? Le petit manuel qui vient à bout de nos préconceptions
Édition, livre jeu, 44p.
Raoul Sommeillier
Docteur en science de l’ingénieur et didactique des sciences
Bio, Electro And Mechanical Systems Embedded Electronics (BEAMS/EE), École polytechnique, ULB
Lucie David
Illustratrice et graphiste
@le_davd
www.luciedavid.com
« Ce projet qui au départ apparaissait comme une montagne infranchissable (il aura fallu de nombreuses semaines avant de bien cerner les thèses de nos chercheurs !) a finalement donné naissance à de très chouettes collaborations.
Ça a été l’occasion de se dépasser! »
« La capacité de communiquer efficacement sur ses recherches n’est pas simple ni innée, et elle ne fait pas forcément partie du bagage ni de la formation des chercheurs. Il suffit de faire un tour à une conférence scientifique pour s’en rendre compte. Outre la qualité des supports de communication dans leur fond et dans leur forme, les processus collaboratifs, transdisciplinaires et créatifs engagés dans Recherche en Perspective déclenchent des discussions profondes, des réflexions inattendues, une ouverture d’esprit et un travail d’introspection sur ses motivations, sur sa recherche et sur ses propres préconceptions. »
« Eurêka ! » s’écria Archimède lorsqu’il comprit subitement le principe qui porte aujourd’hui son nom. Ces eurêkas ont permis de nombreuses révolutions scientifiques, mais on peut tous en faire l’expérience au quotidien. Ce sont ces instants où la solution d’un problème qui nous semblait jusque-là impossible à résoudre se révèle subitement à nos yeux, où on change de perspective sur un sujet en accédant à une nouvelle compréhensiona priori inaccessible, ces instants où « ça fait tilt ».
Si ces instants sont toujours les bienvenus, il y a un endroit où ils sont recherchés plus qu’ailleurs : en situation d’apprentissage, à l’école ou à l’université. Mes études d’ingénieur m’en ont fait vivre un certain nombre et j’ai décidé d’en faire mon sujet de recherche. Mon job c’est de comprendre les mécanismes cognitifs qui sont à l’œuvre lorsqu’on apprend, dans l’objectif d’améliorer la manière dont on enseigne. Plus particulièrement, ma recherche vise à aider les enseignant·e·s en sciences (appliquées) à favoriser - voire provoquer - des eurêkas chez leurs étudiant·e·s.
Pour cela, on s’attaque aux ennemis jurés de nos nouveaux apprentissages : les préconceptions. Une préconception, c’est un genre de préjugé scientifique : une connaissance qu’on s’est construite au fur et à mesure de nos expériences et à laquelle on accorde notre confiance pour comprendre le monde. Elles sont très utiles, nécessaires même. Mais une préconception peut devenir néfaste lorsqu’on tente de l’utiliser pour comprendre un nouveau phénomène qui n’appartient pas à son champ d’application. Il peut être difficile de s’en détacher et elle agit alors comme un obstacle à de nouveaux apprentissages.
Pour s’attaquer à la racine de ces préconceptions néfastes, j’ai formulé trois hypothèses à la base de ma thèse et de son cadre conceptuel appelé Domain of Validity (DoV) framework :
La réalité ne nous est pas directement accessible, pour la comprendre, il nous faut la simplifier à l’aide de modèles ;
Une connaissance est l’association d’un modèle et d’un domaine de validité ;
Une préconception est l’association d’un modèle et d’un domaine de validité surdimensionné.
Ces trois hypothèses impliquent plusieurs choses. Premièrement, cela signifie que ce que nous enseignons et apprenons n’est pas la réalité. Ces processus passent par la compréhension incrémentale de représentations qui l’approximent et sont valables jusqu’à une certaine limite. Un modèle ne peut donc jamais être totalement vrai ou faux : il a un certain domaine de validité adéquat ou non en fonction du contexte considéré. Deuxièmement, pour peu qu’on y associe les domaines de validité adéquats, il n’y a donc aucun souci à ce que plusieurs modèles coexistent pour une même réalité. Troisièmement, dépasser une préconception – et donc apprendre – implique la réduction du domaine de validité associé par l’étudiant·e à cette préconception.
Voici un exemple volontairement simple : « la Terre est plate » est un modèle parfaitement valide lorsqu’on va faire ses courses au magasin du coin. Mais il ne permet pas d’expliquer la force de gravité qui nous maintient au sol, alors que « la Terre est ronde » est valide dans ce contexte. Les deux conceptions peuvent donc coexister
et être mobilisées distinctement en fonction du contexte. L’obstacle cognitif apparait par contre si on tente d’appliquer le modèle de la Terre plate en dehors de son domaine de validité : pour envoyer un satellite dans l’espace par exemple.
Appliquées à l’éducation universitaire, ces quelques considérations permettent un changement de perspective radical sur les processus d’apprentissage et le rôle de l’enseignant·e. Mais elles y sont en fait très peu exploitées. Le coeur de ma recherche a donc consisté à développer des stratégies d’enseignement efficaces aidant les étudiant·e·s à dépasser leurs préconceptions en les confrontant à des expériences paradoxales.